« Les femmes du bus 678 » et le harcèlement sexuel en Égypte
Les femmes du bus
678 est un film de Mohamed Diab, sorti en 2010, soit un
an avant la révolution de la place Tahir.
Ce film est inspiré de
l’histoire vraie de Noha Elostaz, première femme à avoir porté plainte, en 2008, pour agression sexuelle en Egypte. Son agresseur,
Sherif Gebreel, avait agrippé au volant de son véhicule son sein
alors qu’elle marchait dans la rue, la traînant ainsi sur
plusieurs mètres.
Dans Les
femmes du bus 678, Mohamed Diab raconte l’histoire de trois
femmes égyptiennes qui, poussées à bout par le harcèlement sexuel,
décident d’agir pour combattre ce « fléau ». Pour
montrer que cette lutte concerne toutes les femmes en dépit de leur
âge, milieu social ou religieux, le réalisateur brosse le portrait
de trois femmes aux profils très différents. Il y a d’abord Fayza,
une modeste fonctionnaire voilée, mère de deux enfants, qui tous
les jours doit prendre un bus surchargé du Caire pour aller
travailler. Ce trajet en apparence anodin devient très vite un
cauchemar quotidien pour Fayza, qui doit subir
les attouchements à répétition d’hommes sans vergogne. Ensuite,
il y a Seba, issue d’un milieu aisé et mariée à un médecin,
elle échappe de peu à un viol collectif à la
sortie d’un match de foot. Enfin, il y a Nelly, jeune fille
de classe moyenne, qui se fait peloter et
traîner sur quelques mètres par un automobiliste libidineux.
Dans les trois cas de figure, le réalisateur ne s’attarde
pas sur les agressions en elles-mêmes mais sur les conséquences de
ces agressions sur le quotidien de ces trois femmes. Fayza décide de
répondre à ces agressions par la violence physique, Seba opte pour
une action plus symbolique en organisant des ateliers d’auto-défense
pour les femmes et Nelly, quant à elle, décide de porter plainte.
À travers le cas de
Fayza dans les transports en commun, Mohamed Diab nous montre la
banalisation de ces agressions qui ont lieu
avec la complaisance de tous les passagers, le sentiment
d’impunité chez les agresseurs mais surtout l’émergence du
sentiment de culpabilité chez la victime. Le réalisateur évoque un
autre problème avec la situation de Nelly : l’injonction au
silence par ses proches pour maintenir la réputation familiale. Le
silence est préférable à la vérité car avouer qu’elle a été
agressée, c’est apporter le déshonneur sur elle, sa famille et
enfin son fiancé ! Si les personnages masculins ne sont pas
épargnés dans ce film, certains parviennent à se démarquer comme
le fiancé de Nelly qui prend conscience du problème et la soutient
dans son combat.
Concernant l’aspect
esthétique du film, la manière de filmer du réalisateur, Mohamed
Diab est assez déconcertante. La caméra semble toujours instable,
les scènes d’harcèlement paraissent filmées dans l’urgence.
Même si le film connaît
quelques surcharges1,
il remplit son objectif : susciter en nous un sentiment
d’injustice et de révolte.
Depuis 2010, comment les choses ont-elles évolué en Égypte ?
La révolution de 2011 a
permis l’intensification du débat autour de ce fléau social. Lors
de la révolution, de nombreux cas d’agressions sexuelles ont eu
lieu en marge des manifestations, ce qui a profondément choqué
l’opinion publique. Après la révolution, des « groupes de
volontaires se sont organisés pour protéger les femmes des
agressions collectives lors des manifestations. (…) Des graffitis
anti-harcèlement ont fleuri sur les murs du centre-ville »2.
Dans un rapport publié
par l’ONU en 2013 ; près de 99.3 % des Égyptiennes déclarent
avoir été victimes d’agression sexuelle au cours de leur vie.
Le gouvernement du
président Abdel Fattah al-Sissi a décidé de s’attaquer à ce
problème en adoptant en juin 2014 une loi criminalisant le
harcèlement sexuel dans l’espace public. Mais malgré les efforts
du gouvernement, cette loi demeure très « insuffisante »
selon Nadine Marroushi, spécialiste de l’Egypte au sein du
programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’AI. D’après elle,
« tant que les violences se poursuivent en toute impunité dans
la sphère privée et dans les lieux de détention, les femmes ont
peu d’espoir de se sentir en sécurité dans la rue ».
Retour sur
l’expérience de Juliette, partie dans le cadre de sa 3A en
Égypte :
« L’expérience
par rapport au harcèlement sexuel, est propre à chacun. Il y avait
certains jours où cela ne me posait aucun problème et d’autres,
où j’étais carrément excédée… Peu importe ta tenue ou ton
âge, tu te fais « mater » sans aucune indiscrétion !
Cela n’a pas gâché mon année, mais c’était vraiment lourd à
certains moments.
Concernant
les transports en commun, dans le métro égyptien, il y a des wagons
uniquement pour les femmes et des wagons « mixtes », où
il n'y a quasiment que des hommes ! Au début de l'année, pour
aller aux pyramides on a décidé de monter dans le wagon mixte avec
mon groupe d’amis français. Au retour, le wagon était blindé, on
était tous très serrés. Il y avait un vieux monsieur à côté de
moi qui était gêné et se collait au gars à côté de lui pour
éviter de me toucher. À un moment donné, je me suis rendue compte
que je touchais avec ma poitrine le coude de l’homme devant moi.
Dès que je m’en suis aperçue, je me suis reculée et rapprochée
de mes amis. Mais quelques minutes plus tard, je le touche de
nouveau ! Je me recule mais le scénario se reproduit à
plusieurs reprises… Coincée et complètement immobilisée, j’ai
réalisé que ce type le faisait délibérément. Irritée, je lui ai
mis un coup de coude mais je n’ai rien dit, agacée par ma propre
naïveté… Après cet épisode, j’ai systématiquement pris les
wagons réservés aux femmes. »
Sarah Delbos
Sources :
- Sur la difficulté de traiter les dossiers sensibles par la fiction : http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/05/29/de-la-difficulte-de-traiter-les-dossiers-sensibles-par-la-fiction_1709018_3246.html
- Sur le harcèlement sexuel en Égypte :
- Dossier sur le débat sur le harcèlement sexuel en Égypte : https://ema.revues.org/3012
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