L’impossible indépendance du Kurdistan


La récente lutte contre l’organisation « Etat islamique » (E.I.) a (re)placé les Kurdes au cœur de l’actualité puisqu’ils sont devenus des interlocuteurs incontournables pour la coalition internationale dans les combats contre Daech. 
Avant de revenir sur l’actualité brûlante concernant le Kurdistan, il est impératif de faire un point sur sa géographie et sur son histoire. 
Le Kurdistan est une idée très ancienne qui remonte au Xème siècle, avec l’apparition des premières principautés kurdes indépendantes. Les Kurdes sont les descendants des Mèdes, un peuple voisin des Perses. Aujourd’hui, leur zone de peuplement s’étend sur un peu plus de 500 000 km². Celle-ci est à cheval sur l’Iran, l’Irak, la Turquie et la Syrie.



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La population kurde est estimée à environ 35 millions d’individus, majoritairement sunnites. En Turquie, les Kurdes sont environ 18 millions. Ils sont 8 millions en Iran, 7 millions en Irak et 2 millions en Syrie. Ils constituent le plus grand peuple apatride au monde et la diaspora kurde est une des plus importantes actuellement. 
Au début du XXème siècle, l’espace de peuplement kurde est dominé dans sa plus grande part par l’empire ottoman au sein duquel les Kurdes disposent d’une relative autonomie. La Première Guerre mondiale précipite la chute des Ottomans qui se sont alliés à l’empire allemand durant le conflit. Le traité de Sèvres, conclu le 10 août 1920, prévoit le démantèlement de l’empire turc par les vainqueurs. Ce traité prévoit d’établir pour les Kurdes un Etat indépendant. Toutefois, sous l’impulsion nationaliste de Mustafa Kemal, le nouveau leader de la Turquie, l’idée d’un Kurdistan indépendant est abandonnée. Le traité de Lausanne, conclu le 24 juillet 1923, entérine l’idée de la création d’un Kurdistan. De plus, les Britanniques ne prévoient pas un espace laissé à l’indépendance des Kurdes dans le nouvel Etat irakien qu’ils créent car des réserves de pétroles importantes sont découvertes dans le nord de l’Irak, ce qui correspond à la zone de peuplement des Kurdes. A partir de ce moment, les Kurdes en Irak se lancent dans une lutte aussi bien politique que militaire de plusieurs décennies dans le but d’obtenir leur autonomie, face à un pouvoir central qui oscille entre promesses d’émancipation et répression.



 http://www.confluences-mediterranee.com/Turquie-apres-les-traites-de 


Le parti Baas qui arrive au pouvoir en 1968 intensifie la répression à l’égard des Kurdes. Celle-ci atteint son paroxysme en 1988 lorsque Saddam Hussein, alors président de l’Irak, lance l’opération Anfal, qui s’avère être une véritable campagne d’extermination des Kurdes. Cette opération aurait causé la destruction de deux mille villages et la mort de 50 à 100 000 civils d’après Human Rights Watch. A cela il faut rajouter des centaines de milliers de réfugiés. Le massacre d’Halabja de mars 1988 est l’exemple le plus frappant de la répression terrifiante du régime envers les Kurdes. Cet épisode sanglant renforce la volonté des Kurdes de s’émanciper de cet Etat irakien. Les guerres du Golfe vont leur en donner l’opportunité. 
Le 2 août 1990, l’Irak de Saddam Hussein envahit le Koweit. Une coalition constituée de 35 pays arabes et occidentaux intervient pour repousser l’armée irakienne hors du Koweit. L’Irak en guerre connaît une phase de grande instabilité en 1991 pendant laquelle les Kurdes d’Irak se soulèvent contre le régime irakien. Leur région est de nouveau bombardée par l’aviation irakienne, provoquant l’exode de près de 2 millions de Kurdes vers la Turquie et l’Iran. Afin d’empêcher la poursuite des bombardements, la coalition militaire met en place des no fly zone pour protéger la zone de peuplement kurde.
Les combattants kurdes en Irak, les peshmergas, profitent de cette période pour étendre leur contrôle sur la plus grande partie de la zone de peuplement kurde, c’est-à-dire sur un territoire de 48 kilomètres carrés. Un parlement et un gouvernement sont mis en place à Erbil en 1992. Ainsi, la Première Guerre du Golfe a pour conséquence directe une plus grande autonomie du Kurdistan.
Cette autonomie s’accroît encore lors de la Deuxième Guerre du Golfe en 2003. Les troupes américaines associent les Kurdes irakiens à leurs opérations contre les troupes de Saddam Hussein. Les peshmergas étendent alors leur contrôle sur la quasi-totalité de la zone de peuplement kurde jusqu’à Kirkouk et Mossoul. A la suite du conflit, en 2005, une nouvelle constitution irakienne est instituée et fait de l’Irak un Etat fédéral. L’autonomie et les institutions du Kurdistan irakien sont officiellement reconnues. L’État fédéré kurde est composé de trois gouvernorats, Sulaymaniya, Erbil et Dahuk dans lesquels la population kurde y est majoritaire.



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Les Kurdes d’Irak disposent donc légalement d’un Président, d’un gouvernement, appelé « le gouvernement régional du Kurdistan », d’un Parlement et d’une armée, constituée par les peshmergas. Les Kurdes jouent aussi un rôle important dans la vie politique irakienne nationale puisque le Président irakien actuel, élu le 24 juillet 2014, Mohammed Fouad Massoum est kurde, tout comme son prédécesseur Jalal Talabani. Le kurde est reconnu comme la deuxième langue officielle du pays, avec l’arabe. Des consulats se sont installés à Erbil, la capitale du Kurdistan autonome, permettant au Kurdistan d’entretenir des relations directes avec plusieurs États.
Cette grande autonomie du Kurdistan irakien suscite des problèmes internes et externes majeurs. Parmi ceux-ci, il y a des nœuds de tension autour de la question du partage des ressources pétrolifères. En effet, l’Irak est à la sixième place dans le classement mondial des réserves de pétrole prouvées. Or, ces réserves se concentrent essentiellement dans le nord du pays, en grande partie dans les zones d’habitat des Kurdes et la deuxième plus grande réserve de pétrole irakien se trouve dans la région de Kirkouk.


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Le problème majeur concernant le partage des ressources nationales en pétrole est qu’il n’existe pas de législation fédérale dans ce domaine. Ainsi, le gouvernement kurde a accordé des droits d’exploitation à une cinquantaine de compagnies pétrolières internationales, sans en référer au pouvoir central. Certaines ont même été accordées hors de la région administratives kurdes mais dans les zones où la population kurde est majoritaire. Le gouvernement de Bagdad s’oppose à cela et menace de suspendre le versement de la part du budget fédéral alloué à Erbil. Ces querelles entre Bagdad et Erbil ont été laissées de côté lors de l’avènement de l’E.I.
Les Kurdes, aussi bien d’Irak que des pays voisins se sont imposés comme des acteurs dont l’armée irakienne et la communauté internationale ne peuvent pas se passer dans la lutte contre l’E.I. Les pays voisins, dont principalement la Turquie, ont compris cela et cherchent à limiter les zones de contrôle laissées aux Kurdes, n’hésitant pas à combattre des groupes kurdes.


https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/Kurdes-2016-07

Si la guerre contre l’Etat islamique touche à sa fin, un nouveau conflit pourrait bel et bien naître. Le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani a quitté ses fonctions le 1er novembre, en vue d’apaiser les tensions. En effet, sa décision est une conséquence directe de l’échec du référendum qu’il avait initié et qui s’est déroulé au mois d’octobre dernier. Si le « oui » en faveur de l’indépendance l’a emporté, celle-ci n’a pas pu s’accomplir puisque le pouvoir central irakien ainsi que les pays voisins directement concernés par l’indépendance des Kurdes n’ont pas reconnu la légitimité du référendum. Pire encore, Bagdad a envoyé ses troupes reprendre le contrôle de toutes les zones situées hors de la région autonome où les Kurdes avaient étendu leur zone de contrôle en 2003, dont la riche province de Kirkouk qui pouvait assurer la viabilité économique d’un hypothétique Etat kurde. De plus, Erbil n’a pas obtenu le soutien international qu’il espérait concernant le référendum sur l’indépendance. Ainsi, il paraît impossible aujourd’hui qu’un Etat kurde indépendant soit constitué étant donné la forte opposition des pays dans lesquels se trouvent des Kurdes. La communauté internationale semble plus prompte à un statu quo plutôt qu’à un soutien à une indépendance kurde qui enflammerait de nouveau la région. Enfin, le problème pour la constitution d’un Etat kurde qui comprendrait l’ensemble des zones de peuplement kurde est que les Kurdes sont divisés en de multiples organisations qui peuvent être rivales les unes des autres. Il faut simplement espérer aujourd’hui que le pouvoir central irakien laissera au gouvernement régional du Kurdistan son autonomie et n’envahira pas les zones qui lui étaient attribuées originellement, sous peine de voir un conflit ouvert se déclencher, dans une région qui aurait bien besoin d’un peu de répit… P.S.

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