Kedi, « feel-good movie » stambouliote sur la vie des chats

Ils sont au nombre de sept à avoir un rôle principal dans l'histoire, mais il existe une différence majeure dans ce documentaire : les protagonistes ne sont pas des humains mais bel et bien des chats. Laissez-moi vous les présenter en quelques phrases. 
• Sari, l'arnaqueuse, vit au pied de la tour de Galata et passe son temps à voler tout ce qu'elle trouve pour nourrir ses portées de chatons. 
• Duman, le gentleman, est un aristocrate établi à Nisantasi sur la devanture d'un delicatessen. Il attend patiemment à la fenêtre que les patrons daignent le servir. 
• Bengü, l'amoureuse ou l'amante, habite à Karaköy. Elle est devenue comme une famille pour les nombreux ouvriers de ce quartier industriel et y apporte un peu de douceur. 
• Aslan Parçasi, le chasseur, a élu domicile sur la rive asiatique à Kandilli. Chasseur invétéré, il est gardien d'un fameux restaurant de poissons et veille à garder les rats à bonne distance. 
• Gamsiz, le grand joueur, se balade sur les hauteurs de Cihangir, quartier des artistes. C'est un grimpeur hors-pair et un sacré bagarreur. Il se fait chouchouter par un boulanger et une actrice. 
• Psykopat, la tarée du quartier, vit à Samatya. Elle a gagné le respect des habitants, des autres chats et même des chiens errants.  Elle a établi son repère devant un salon de thé. 
• Deniz, jeune fauteur de trouble, ne quitte jamais le marché de Feriköy. Il joue parmi les étals, s'endort entre les boîtes de thé et harcèle les clients au passage.


https://www.kedifilm.com/about/

Istanbul, à travers les âges et les époques, au fil des empires, est indissociable des chats. Ils rythment la vie des habitants et apportent leur grain de sel au charme de la ville. Arrivés majoritairement par bateaux, comme leurs maîtres et compagnons, ils peuplent les rives européenne et asiatique de la cité turque, jusqu'à s'installer absolument partout, même dans les endroits les plus reculés et les plus difficiles d'accès. 
De nombreuses métropoles vivent en relative harmonie avec une grande population de félins, mais à Istanbul, la relation entre les humains et les chats semble fusionnelle, pourrait on dire, tant la communication entre les deux est particulière. Des compagnons de vie, une source de divertissement, un confort psychologique, des confidents, un nettoyeur hors-pair ... Ils remplissent auprès de la population de très nombreuses fonctions. 
Ceyda Torun, la réalisatrice, a habité à Istanbul jusqu'à l'âge de 11 ans avant de déménager d'abord en Jordanie puis à New-York et à Los Angeles aux États-Unis. Pendant son enfance, elle passe ses après-midi entourée de chats, à jouer avec eux dehors, gambadant avec eux, se créant un monde à part. Elle les suivait partout, même dans leurs acrobaties, ne se rendant pas compte des risques. Une atmosphère qu'elle n'a par la suite plus jamais retrouvée, dans les nombreuses villes où elle a habité. Cette connivence et cette connexion entre l'homme et l'animal avaient disparu, et les chats qu'elle rencontrait, peu nombreux, ne réagissaient aucunement comme à Istanbul. 
Cette volonté de faire un documentaire sur la vie des chats à Istanbul, plutôt par exemple que sur les dérives autoritaires d'Erdogan ou l'intégration des réfugiés syriens, traduit l'envie d'apporter une image et un regard apaisé sur cette mégapole qui vit à un rythme supersonique et introduit les bouleversements et changements auxquels sont confrontés les habitants à travers et au fil des discussions sur nos compagnons les chats. 
Le parti pris de la réalisatrice est intentionnel, et bien que certains spectateurs y verraient une énième façon un peu kitsch de filmer des chats, le documentaire ne tombe dans une simple succession d'images de chats et de leurs visages charmeurs, ça, Youtube le fait très bien. Le documentaire ne se réduit pas simplement à un moment de bien-être ressenti au contact de ces félins aux caractères uniques auxquels l'on s'attache instantanément. 


L'idée derrière va bien plus loin et s'efforce de comprendre, autant que faire se peut, la relation profonde existant entre l'homme et le chat à Istanbul. C'est ce qu'apportent les commentaires des habitants interviewés, à qui de nombreuses questions, absurdes ou sensées sur les protagonistes du
film, ont été posées. En effet, puisque le chat est intrinsèquement mêlé à la mémoire collective d'Istanbul, tout Stambouliote a bien une anecdote ou une opinion à partager sur la question, tant ils semblent s'occuper avec affection et dévouement de ces petits animaux. 
Aujourd’hui, considérant les événements récents qui ont profondément chamboulé la Turquie, le chat prend peut-être une nouvelle signification, comme l'allégorie de la liberté (maître de sa propre vie, erre où bon lui semble, même dans les endroits inaccessibles). Pour de très nombreux Turcs, le chat présente la possibilité d’interagir et d'être tendre avec « quelqu'un » qui vous le rend bien et qui ne s'embarrasse pas de questions de jugement.
Consciente qu'elle n'avait pas les clés pour réaliser un documentaire à connotation plus politique et sociale, l'équipe du film s'est concentrée sur l'objectif double de montrer d'une part le visage d'une « autre » Istanbul, loin de celle présentée dans les médias, les visites guidées et les films, et d'autre part, d'offrir à la population et à la ville une « lettre d'amour », un hommage en quelque sorte. C'est leur contribution et leur soutien à tout ce qui se passe, en prenant un point de vue particulièrement positif. Néanmoins, le film n'occulte pas, dans le fond, les problématiques liées à la transformation fulgurante de la ville qui prend de court les habitants, ni les questionnements politiques, économiques et sociaux.

https://www.kedifilm.com/about/


Lonely Bedouin of the Desert


Sources :

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Sabiha Gökçen, une grande figure de l’aviation turque et mondiale

Les séries télévisées turques : raisons d'un succès

Le Sahara occidental