Devant la censure, Mashrou' Leila ne recule pas
Mashrou' Leila, un nom
qu'on encense, un nom qu'on veut enterrer. Mashrou' Leila, un groupe
qui fait parler, qui suscite tout aussi bien la haine que
l'admiration. Quintet libanais aux sonorités indie rock, le groupe
trust le devant de la scène depuis presque une dizaine d'années.
Ils se sont rencontrés en 2008 à l'Université Américaine de
Beyrouth, tous étudiants en architecture ou en design. En
2009, le groupe participe au Radio Liban's Modern Music Contest et le
remporte, gagnant ainsi le droit d'enregistrer son premier album.
Ceci propulse le groupe sous les projecteurs puisqu'il est programmé
dès 2010 comme tête d'affiche du Festival International de Byblos.
Depuis, 4 albums sont sortis : Mashrou'
Leila en 2009, El Hal Romancy, 2011, Raasük, 2013 et Ibn El Leil,
2016. Figure de proue et leader du groupe, Hamed Sinno est le
charismatique chanteur, ouvertement gay soit dit en passant, nous y
reviendrons. Un piano, une guitare, des percussions, un violon et une
basse. Un des groupes modernes du Moyen-Orient le plus connu en
dehors des pays arabes, si ce n'est le plus célèbre. L'étendard
d'une jeunesse arabe révoltée et demandeuse de davantage de
libertés, le fond sonore des printemps arabes.
Mashrou' Leila, qui peut se traduire soit par projet d'une nuit ou
projet de Leila, a une identité propre très forte. Les cinq
musiciens ont délibérément choisi de ne rien se refuser dans les
sujets abordés dans les textes. Cependant, le groupe aborde ces
sujets sensibles non pas pour faire du bruit mais parce que ces
thèmes viennent des expériences personnelles, des sentiments et
ressentis des membres du groupe en premier lieu. D'autre part, le
groupe introduit une liberté nouvelle, je dirais, dans la création
musicale, si l'on compare à la musique traditionnelle arabe
contemporaine, très codée et basée majoritairement sur des
histoires d'amour et des contes comme les mille et une nuits. Plus
encore, le groupe s'appuie sur des paroles aux mots crus, expressifs
et explicites, s'efforce de briser des frontières, bousculer les
codes sociaux et faire réfléchir face aux traditions inébranlables.
Un groupe qui ne veut pas de tabou, qui au contraire les
déconstruit, qui chante haut et fort tout ce qu'il souhaite
défendre, idéaux de liberté à l'encontre du conservatisme des
sociétés arabes, affirmation du pouvoir du peuple. Les thèmes les
plus polémiques aux yeux des classes dirigeantes et conservatrices
des pays arabes sont ceux de la sexualité associée aux festivités
de la vie nocturne et ceux touchant aux revendications sociales et
politiques des peuples arabes. Plusieurs chansons ont été
particulièrement ciblées par les détracteurs du groupe. Par
exemple, Shim El Yasmine, qui résonne comme un hymne à la tolérance
et à accepter l'amour entre personnes de même sexe. Les paroles
décrivent un homme qui veut présenter à ses parents sa fiancée,
qui se trouve en réalité être un fiancé. Dans le même registre,
la chanson Tayf fait référence à un club gay de Beyrouth qui a été
fermé. Du côté des thèmes politiques, Wa Nueid a été écrite en
réponse à l'attentat à la bombe place Sassine, sorte d'hymne à la
résistance, à continuer le combat, au sens figuré comme au sens
physique du terme.
Par deux fois en Jordanie, une première fois en avril 2016 et une
deuxième fois en juin 2017, le gouvernement jordanien a interdit le
concert du groupe Mashrou' Leila. En 2016, le groupe n'a été
informé que trois jours avant la tenue du concert de son annulation,
via une lettre du Ministère du Tourisme. Face à l'ampleur de
l'indignation sur les réseaux sociaux et face à la mauvaise
critique dans les médias occidentaux, le Ministère de l'Intérieur
cette fois-ci, dans une nouvelle lettre, revient sur ses positions et
reprogramme le concert, donnant l'autorisation au groupe de jouer.
Or, puisque le feu vert à été donné la veille du concert, il n'a
pas pu être organisé d'un point de vue logistique, le groupe devant
faire venir le matériel de Dubaï.
Le groupe libanais avait été à nouveau invité pour jouer à la
fin du mois de juin dans l’amphithéâtre romain, monument
emblématique au cœur du centre-ville. Cette fois-ci, Mashrou' Leila
s'était bien assuré d'être en possession de toutes les
autorisations nécessaires, approuvées par le Ministère du
Tourisme. Mais mi-juin, le Ministère de l'Intérieur à pris la
décision d'annuler le concert, sans donner explications ni
arguments, comme une décision unilatérale. Ce qui est intéressant
dans l'histoire est que le groupe s'était déjà produit à
plusieurs reprises en Jordanie sans que cela ne semble poser un
problème quelconque. Alors pourquoi les autorités empêchent-elles
aujourd'hui Mashrou' Leila de jouer devant ses fans ?
En Égypte, un concert a été donné fin septembre et parmi la
foule nombreuse, des fans ont brandi le drapeau arc-en-ciel, drapeau
de la communauté LGBT, puisque le groupe traite du sujet dans ses
chansons, soutient sans relâche la communauté et qu'Hamed Sinno est
lui-même gay. Les autorités et la police égyptiennes n'ont pas du
tout apprécié cette liberté d'expression et ont procédé à une
vague d'arrestations. Dorénavant, suite à cet « incident »,
le groupe ne sera plus accueilli dans le pays pour venir jouer.
La classe politique jordanienne en général a souhaité interdire
le concert du groupe libanais. Pour le gouverneur d'Amman, Khaled Abu
Zeid, certains des textes vont à l'encontre des mœurs de la société
jordanienne, des valeurs chrétiennes et musulmanes. En juin 2017, un
nombre non négligeable de parlementaires et de ministres ont signé
une pétition visant à interdire le concert, et revendiquant
s'appuyer sur une large partie de la population pensant que
l'homosexualité n'avait pas sa place dans la société jordanienne.
Un autre argument avancé est l'encouragement de façon plus ou moins
implicite que l'on trouve dans les paroles de Mashrou' Leila à
s'opposer de façon démocratique aux pratiques autoritaires des
dirigeants arabes, ce que ne tolère guère la Jordanie.
Les fans ont aussi fait entendre leur voix sur les réseaux sociaux
et partent du principe que bien que le gouvernement puisse interdire
un concert, rien ne pourra les empêcher d'écouter leur musique et
d'aller les écouter ailleurs. D'autres mettent en lumière une
gestion en deux poids, deux mesures des événements. Par exemple,
l'artiste Enrique Iglesias a le droit de venir jouer son album Sex
& Love, aux paroles sûrement explicites. Mais encore, le
film Wonder Woman dans lequel joue Gal Gadot, actrice pro-sioniste,
n'a pas été interdit.
En réponse, le groupe pointe du doigt un traitement d'intolérance
vis à vis de la communauté LGBT et accuse les autorités d'avoir
une position homophobe, spécialement à l'encontre d'Hamed Sinno.
Ensuite, ils critiquent la tentative du gouvernement de camoufler la
liberté d'expression, quand le groupe aborde successivement la
sexualité, l'homosexualité et le droit de manifester son opposition
aux politiques actuelles. Ils confrontent ainsi une démarche
artistique de défense des droits de l'homme face à une classe
politique qui s'enfonce dans le conservatisme. Alors que
l'interdiction a été prononcée pour soit disant protéger les
valeurs et traditions de la société jordanienne, Mashrou' Leila met
en avant le fait qu'une grande partie de la population a un esprit
progressif, ouvert et défend le pluralisme culturel et que donc, la
société n'est pas aussi conservatrice que le gouvernement le laisse
entendre.
Lonely
Bedouin of the Desert
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