Le putsch du 15 Juillet, quelles origines… et quelles conséquences ?



     Dans la nuit du 15 Juillet 2016, le peuple turc et son représentant, Recep Tayyip Erdogan, se réveillent dans un terrible vacarme : c’est le boucan des armes, des chenilles blindées, de la marche martiale… la Turquie est en plein coup d’état militaire.

     Cet évènement rappelle à quel point l’armée garde un poids considérable dans l’échiquier politique turc, si important qu’il en arrive presque à bouleverser l’équilibre des forces politiques.  Cependant, cette tentative de putsch faîte le 15 Juillet 2016, bien qu’inconcevable, n’est pas la marque d’un embrasement brutal et incontrôlé des forces armées. Bien au contraire, l’armée est sujette depuis 2003 (date de formation de l’AKP par Mr. Erdogan soit le Parti de la justice et du développement) à un véritable « travail de sape » (pour reprendre les termes du journaliste Sümbül Kaya).
     En effet, la Turquie a déjà été trois fois sujette à ce genre de crises en 1960, 1971 et 1980. Le dernier coup d’état fût à l’origine d’une prédominance de l’armée sur les institutions turques. La constitution mise en place renforça les prérogatives du Conseil de sécurité nationale (CSN), lesquels s’imposèrent de facto au gouvernement civil. L’armée se juge garante du legs de Mustafa Kemal Atatürk : laïcité et défense de l’intégrité territoriales sont ses domaines de prédiléctions. On en vient en Juin 1997 et à la démission du ministre Necmettin Erbakan un an à peine après son arrivée aux affaires. Il est victime d’une mise en garde musclée du CSN sur son idéologie jugée pas assez laïque et néfaste à la cohésion des fils et filles, de la Sublime Porte. 


     Cependant dès 2003, en s’appuyant sur les négociations d’adhésion à l’Union Européenne, M. Erdoğan a peu à peu imposé une démilitarisation des institutions civiles et un contrôle accru du gouvernement sur les questions de défense. On citera l’interdiction faîte à l’armée de siéger au Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK) ou encore le Conseil suprême de l’audiovisuel public (RTÜK). L’incapacité en 2007 des chefs militaires d’empêcher l’élection de l’islamo-conservateur Abdullah Gül comme président de la République marque l’ascendant de l’AKP sur le pouvoir décisionnel militaire, et la sclérose d’un système autrefois bien plus dynamique.
     Tout ce processus amène l’armée à se rebeller, dans l’espoir de renverser son impotence. Cependant, la mobilisation de la police, arme à la main, et des citoyens (mis en relation sur des réseaux sociaux comme Twitter) met en forme une opposition rapide et efficace contre le putsch. Cela bien avant l’appel permis par une journaliste de CNN à Erdogan, pour rassembler les foules, et qui permet finalement de contrer le désir impétueux de l’armée d’un regain de notoriété. Près de 3 mois après la tentative de putsch, c’est une véritable purge qu’a entamée Erdogan : environ 9 000 fonctionnaires de défense, dont 1 099 officiers (149 généraux et amiraux) ont été arrêtés, et le gouvernement a élargi les sanctions à des milliers de juges, enseignants et journalistes.

     On remarque ainsi que la tentative du coup d’Etat du 15 Juillet n’est finalement que l’aboutissement d’un délitement continu, profond des forces de l’armée entamée par le KPD depuis 2003. Et M. Erdoğan entend bien s’entourer d’un maximum de garanties. Cependant, il est bon de se demander si les modifications structurelles prévues ne vont pas profondément affaiblir la principale force de frappe et défensive turque, qui rappelons-le s’est engagée sur plusieurs fronts à la frontière de la Syrie et au Nord de la Chypre pour n’en citer que quelques-uns.
              

Par Clément Lavorel




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Sabiha Gökçen, une grande figure de l’aviation turque et mondiale

Les séries télévisées turques : raisons d'un succès

Le Sahara occidental