Esquisses de vies, esquisses de femmes
D'Amel Khalfet
Sarah Toumi, entreprenante sociale tunisienne
Depuis
1977 et sous l’impulsion des Nations Unies, le 8 mars est la journée dédiée aux
droits des femmes. Il s’agit d’une initiative qui a été motivée pour lutter
contre les inégalités entre les deux sexes, inégalités qui perdurent toujours.
Cette journée est l’occasion pour quelques membrEs de l’association Ahlan de
revenir sur les femmes du monde arabo-musulman qui montrent l’exemple par leurs
actions et méritent qu’on les mette en lumière.
En
tant que franco-tunisienne (ce n’est presque pas du bipatriotisme) j’ai décidé
de présenter pour ceux qui n’en ont toujours pas entendu parler, une autre
franco tunisienne dont le parcours est très inspirant. Elle s’appelle Sarah
Toumi, à peine trente ans et son parcours a déjà été récompensé à maintes
reprises.
Déjà
petite, alors que les filles de son âge devaient encore être bercées par
l’insouciance de l’enfance, Sarah, elle, manifestait déjà un grand intérêt pour
les actions collectives et l’humanitaire.
Il faut dire que son environnement familial n’y était peut-être pas
étranger. En effet, son père est un acteur de l’action sociale en Tunisie. Ses
engagements précoces lui permettent d’obtenir une première récompense, à savoir le prix Ashoka Youth, alors qu’elle
n’est âgée que de dix-neuf ans ! Deux ans plus tard, elle fonde sa propre
plateforme afin d’aider les jeunes qui veulent contribuer au
développement : Dream of Tunisia.
Après
avoir obtenu une maîtrise en littérature du voyage à Paris IV, elle quitte la
capitale en 2012 pour retrouver la terre de son grand-père : un village du
nom de Bir Salah, toujours coincé dans les inégalités et la pauvreté. A partir
de là, elle s’engage dans un tout nouveau projet et crée l’association
« Acacias for all ». L’objectif de cette organisation est
multiple : lutter contre la désertification, favoriser l’emploi et la
formation des femmes du territoire. Tout cela étant possible grâce à la
plantation de cet arbre dont les vertus sont nombreuses aussi bien pour les
sols que pour les retombées économiques de son agriculture. Pour en savoir plus, je vous invite à aller consulter la page créée par trois membres d’Ahlan qui ont lancés un beau projet au profit de cette association.
Cette
dynamique lui a valu en ce début d’année d’être la seule africaine à figurer
dans le classement américain du magazine Forbes dénombrant les trente meilleurs
entrepreneurs sociaux de moins de trente ans. Autre prix qui vient s’ajouter à
celui obtenu en 2008 est Women For Change qu’elle a gagnée en 2013.
Autant de
récompenses qui viennent affirmer son statut de femme qui se donne les moyens
de la réussite en dépit des obstacles manifestes qui en auraient arrêté plus
d’un pour sûr : mener un tel projet dans un pays toujours corrompu malgré
la révolution, être une femme (bien que nous soyons en 2016, ce n’est
malheureusement pas toujours une chance), et surtout être aussi jeune.
Et loin
de toute prétention, malgré ce succès étincelant, et qui nous le souhaitons
durera encore, Sarah affirme en toute humilité qu’elle souhaite contribuer par
son parcours, à :
« inspirer des personnes normales qui veulent faire des choses extraordinaires »
On ne peut qu’être admiratif d’une telle énergie
consacrée à l’intérêt collectif et à la préservation de l’environnement
d’autant plus que de l’idée à la concrétisation et sa continuité, Sarah est la
seule personne derrière tout cela. Si mon choix s’est porté sur elle, c’est
aussi pour la sagesse qu’elle apporte : elle met à profit sa détermination
et ses compétences au service de populations délaissées, avec lesquels elle
partage tout pour les conduire à une vie plus décente et leur permettre de
s’autogérer par la suite. Nous sommes donc bien loin des exemples de personnalités
qui restent dans un entre-soi élitiste malgré leurs grandes actions. Ainsi, en
ce 8 mars, c’est autant à Sarah Toumi que je voulais rendre hommage qu’à sa
philosophie de vie qui permet à toutes ces femmes courageuses en Tunisie d’entrevoir
un avenir plus serein et qui pourront reproduire ces enseignements afin d’en
assurer la démocratisation et la pérennité.
De Lou-Ann Hannequin
Les soldates kurdes contre Daesh
Ce n’est pas une femme mais des femmes que je souhaite mettre en
avant aujourd’hui. Des femmes qui ont décidé d’abandonner leur famille, la
possibilité d’un futur, d’une famille, qui mettent chaque jour leur vie en
danger pour la sécurité et la paix, pour chacun de nous : les femmes kurdes engagées dans la lutte
contre Daesh.
Depuis quelques mois, l’organisation terroriste est devenue
l’ennemie numéro un de nombreux pays : les pays voisins souffrent de la
politique de terreur, des menaces et incursions violentes des soldats de l’Etat
islamique et sont aux premières lignes de la lutte armée et les puissances
occidentales, victimes d’attentats et de menaces ont décidé de multiplier les
attaques aériennes. Néanmoins, la violence de Daesh ne peut se comprendre en se
suffisant d’une analyse à l’échelle des pays, les événements ne peuvent pas
être compris qu’à travers la politique, nous devons nous attarder sur chaque
humain, et notamment les populations installées au voisinage de Daesh qui ont
décidé de se battre. Car oui, malgré un climat de terreur, certains groupes ont
décidé de prendre les armes et d’affronter Daesh sur le terrain. Et parmi eux,
des jeunes femmes kurdes. Elles sont des centaines à rejoindre les camps
d’entraînements, une unité entièrement féminine a même dû être créée.
Ces jeunes femmes abandonnent leur famille, parfois en secret
car elles ont conscience de la souffrance que cette décision peut causer à
leurs proches, aller se battre contre Daesh, c’est faire face à la mort
quotidiennement. Certaines le font ouvertement, car elles ont le soutien de leur
famille et leur rendent régulièrement visite.
Elles acceptent des conditions drastiques pour
entrer dans les camps d’entraînements : elles doivent vivre dans un strict
célibat ; savent qu’elles ne se marieront jamais et qu’elles n’auront jamais
d’enfants. Les conditions de vie dans le camp d’entraînement sont difficiles : levées à l’aube pour s’habituer
au front ; maniement d’armes ; entraînement physique tout aussi intense que
celui des hommes. Malgré cela, les jeunes kurdes sont de plus en plus
nombreuses à s’engager. A ceux qui leur demandent pourquoi elles font ce choix, pourquoi elles abandonnent
l’idée d’une famille, certaines ont un discours déjà bien rodé : elles
expliquent qu’elles ne veulent pas d’enfants dans un pays occupé, qu’il faut
garantir la sécurité des autres enfants, garantir la paix et que finalement,
c’est aussi beau que de fonder une famille.
Leurs victoires de plus en plus nombreuses les rendent
populaires si bien que des progrès sociétaux ont eu lieu : elles sont
considérées comme des hommes, aussi capables qu’eux de se battre. Les rebelles
syriens pensent même les prendre pour modèle en ouvrant également leurs rangs à
la gente féminine, une avancée pour un groupe musulman.
Toutes ces jeunes
femmes qui luttent sur le front ne se battent pas seulement pour leur
population mais pour tous les pays visés par les attaques de Daesh. Elles se
battent pour les minorités, pour les musulmans, pour les occidentaux. Elles
sont des centaines, avec des visages bien différents, des parcours divers.
Certes, elles partagent toutes une incertitude du futur, futur qu’elles ne
verront peut-être pas, mais aussi une magnifique volonté de changer le monde qui fait de chacune d'entre
elles des personnes d'exception.
De Fatem-Zahra Abid
Vian Dakhil, porte-parole des Yazidis
A l’occasion de cette journée de la femme nous vous
proposons de découvrir des héroïnes d’aujourd’hui, du monde arabe, qui luttent,
chacune à leur façon, avec leur moyen, et selon leurs convictions pour affirmer
leurs droits, accomplir leurs objectifs, et/ou participer à l’amélioration de
leur société.
Je tiens à vous présenter Vian Dakhil. Cette irakienne a reçu
le 6 Octobre 2014 le prix Anna Politkovskaïa de l’ONG RAW in War qui récompense les femmes défendant les
droits des victimes dans les zones de guerre.
En effet Vian Dakhil qui est une
quasi-inconnue de la scène internationale, incarne la résistance en Irak et
porte la voix des Yazidis dont elle est la seule représentante au parlement
Irakien. Dans un de ses derniers rapports l’ONU rapportait qu’entre 5000 et
6000 femmes Yazidis sont enlevées, soumises à des viols, forcées au mariage et
torturées, si bien qu'il existe un marché aux esclaves vendant de jeunes Yazidis ayant entre
11 et 15 ans pour la majorité. Vian Dakhil s’est élevée pour cette cause,
contre ces injustices, faisant d’elle une cible majeure des djihadistes, elle a
déclaré récemment avoir reçu des avertissements des autorités la signalant comme
la femme la plus recherchée en Irak par l’EI.
Elle sensibilise à la cause des
Yazidis en Occident en intervenant dans les médias, notamment auprès de CNN, du
Washington Post, où elle dénonce « la campagne génocidaire mise en place contre
les Yazidis ». Cette élue entame son second mandat de député représentant la
minorité Yazidis, dont elle est elle-même issue, en plus de se consacrer aux
droits des minorités, et des femmes, Vian Dakhil n’hésite pas à intervenir sur
le terrain. Il y a peu elle est montée dans un hélicoptère de l’armée irakienne pour assister
des rescapés assiégés par des djihadistes, l’hélicoptère s’est crashée elle fut
blessée mais cela n’a fait que renforcer sa conviction et sa détermination qui
nous l’espérons la conduiront à triompher dans son combat.
De Marine Chauvin
Leïla Essaïdi, photographe à la recherche de nouvelles représentations du corps féminin
Née au Maroc, établie aux Etats Unis, l’artiste
peintre et photographe Leïla Essaïdi propose une œuvre originale de
déconstruction des clichés sur les femmes du monde arabe. Alliant la
photographie, la mise en scène et surtout la calligraphie, elle travaille sur
la représentation de la femme par le courant orientaliste, sur le genre, les
mentalités, l’espace privé et public. La calligraphie, art traditionnellement
masculin, lui a permis de développer une méthode particulière, l’écriture à l’aide
d’une seringue de henné. Dans une interview accordée au webmagazine Jadalliya,
elle décrit son œuvre :
« Dans mon esprit, puisque la calligraphie, la poésie et l’architecture sont considérées comme des arts nobles dans la tradition islamique, comme on le voit à travers l’histoire de l’art, je m’en sers pour récupérer la riche tradition de la calligraphie en l’associant à l’art éminemment féminin du henné ».
Ses
photographies mettent en scène les corps des femmes, au sein de lieux
privilégiés par les orientalistes comme les harems afin de démonter les
stéréotypes qu’ils utilisent. Il s’agit de rendre compte de l’identité de la
femme arabe au delà des clichés occidentaux.
Harem |
Leïla Essaïdi, entre deux mondes et deux
cultures, s’approprient ces contradictions, lui permettant de construire un
univers unique autour des visions diverses de la femme arabe.
- Converging territories
Commentaires