Conférence : la violence totale de Daesh, avec Haoues Seniguer
Au cours de la conférence intitulée « la violence totale de
Daesh » organisée dans le cycle « réfléchir après Charlie » l’universitaire et enseignant à l’IEP de Lyon
Haoues Seniguer a orienté son propos autour des problématiques suivantes :
que comprendre par violence totale ? Quelle visibilité dans notre monde,
de cette violence étendue par les exécutants et idéologues de l’EI ?
Quelle distinction peut-on faire entre les idéologues et les exécutants ?
Que cela nous révèle-t-il sur les ressorts idéologiques des acteurs individuels
et collectifs ?
DAESH est un objet à plusieurs tiroirs, et comme le disait Paul Valéry
les mots « chantent plus qu’ils nous disent » en témoignent les mots
« radicalisation » et « terrorisme » devenus des termes
fétiches de l’opinion publique. Ainsi au cours de la conférence les
intervenants ont insisté sur le sens des mots employés tant par DAESH que pour
qualifier DAESH, le sens de ces mots, et les intentions placées derrière eux
nous permettent d’apporter un nouvel angle d’analyse à cet objet si complexe
que sont l’auto proclamé état islamique, ainsi que les intentions de ses
acteurs et agents.
Pourquoi
violence totale plutôt que terrorisme ?
Il est intéressant d’établir rigoureusement un
domaine de définition, pour la sociologue Isabelle Sommier spécialiste des
questions sur le terrorisme, dans son article « du terrorisme à la
violence totale ? » elle
décrit que d’un côté on a l’état wébérien et son monopole de la violence
légitime, et de l’autre la violence civile que l’état utiliserait à ses propres
fins selon un plan légal, des règles qu’il observe pour mettre en application
cette violence légitime. Sur le plan juridique Sommier fait notamment référence
à l’article 7-1 de la CIJ qui renvoie aux crimes contre l’humanité
« commis dans le cadre d’une attaque généralisé systématique contre une
population civile de façon délibérée ».
Ainsi des pratiques étatiques peuvent être
qualifiées de terrorisme, bien que rarement le terme soit utilisé lorsque cela
arrive. Parler de terrorisme en faisant référence à Daesh, c’est prendre le
risque de faire des amalgames avec d’autres formes de violences collectives
comme celles en Palestine. En effet, il y a différents types de mobilisation
contre l’occupation israélienne, on voit que chez certains acteurs politiques
israéliens, dont l’actuel premier ministre Netanyahou, le terme de terrorisme
est employé à des fins de politique intérieure. Ce type de vocable est instrumentalisé
pour chercher à prouver aux Occidentaux par exemple, que les palestiniens
assimilés à des terroristes, sont proches des djihadistes de Daech, faisant des
terroristes un seul et même ennemi dangereux, à combattre. Le terme de
terrorisme relève d’un vocable politique, et comme le relève Mr Seniguer avec
un trait d’humour « on est toujours le terroriste de quelqu’un »
(citation de Saddam Hussein).
En outre d’autres aspects et termes s’appliquent
à Daesh, pour Sommier la nouveauté de ce terrorisme réside dans la légitimation
et la pratique du meurtre arbitraire. La violence totale est une stratégie
délibérée de violence aveugle contre la population, avec disjonction entre les
civiles et les politiques, on parle de non-discrimination des victimes, avec
une/des finalité(s) politique(s) (ou pas d’ailleurs). Ainsi Daesh a recours à
haute dose à la propagande via internet et les réseaux sociaux avec par exemple
« dar el islam » qui est une publication régulière, rédigée par des
francophones.
De plus comme le
dit M. Sommier il existe une certaine « exaltation presque mystique de ces
actes » par exemple la publication n°2 de 2015 « qu’Allah maudisse la
France » revendique et valorise les actes terroristes des kamikazes. La
distinction entre combattants et militaires disparaît pour laisser place à un
choix de violence aveugle et indiscrimineé, un choix volontaire et stratégique.
Mais où réside la spécificité de Daesh ? Il est vrai que les
attentats de Charlie n’étaient pas les premiers attentats perpétrés en France,
en effet entre 1995 et 1996 il y eût 8 attentats à la bombe, 8 morts et
blessés, commandités par les GIA (groupes islamiques armées). Là où les
attentats de 2015 se distinguent tragiquement c’est pas la volonté de
l’exécutant de périr lui-même de son acte. De surcroît lors des attentats du 7
Janvier 2015 les cibles étaient déterminées, les commanditaires se
revendiquaient d’Al Qaïda (du côté du Yémen), ce sont des formes inédites
d’attentats suicides qu’on croyait réserver au Moyen-Orient. Il y a une prise
de conscience en Occident de ce que pouvaient (et continuent) de vivre les
arabes au Moyen-Orient notamment en Irak ou en Syrie. Cette prise de conscience
s’accompagne d’un autre constat, celui d’un monde globalisé « où ce qui se
passe ailleurs à des répercussions ici » selon Mr Seniguer, le nuage de
Tchernobyl ne s’est pas arrêté à nos frontières.
Concernant les relations entre le religieux et le terrorisme, la
théorisation des attentats sunnites se trouve chez certains clercs sunnites qui
ne sont même pas affiliés à l’EI. Cette intersection idéologique a de quoi
décontenancer mais ce n’est pas une nouveauté, en effet l’actuel président de
l’association internationale des oulémas est celui qui a théorisé les attentats
suicides en Palestine. Pour autant il convient de préciser qu’il n’est pas
question de dire que la violence serait consubstantielle, ou intrinsèques à
l’Islam.
Mr Seniguer met en garde à ne pas confondre l’idéologue et
l’exécutant, le ressort idéologique est en amont, et il faut s’intéresser
autant à l’aval qu’à l’amont pour comprendre –et non pas excuser- Daesh. Les
mots ont leur poids, par exemple l’auteur et linguiste du XIIIème siècle Ibn
Mandour nous éclaire par son étude du terme « djihad » qui renvoyait
à une énergie déployée, quelque chose qui suscite de la difficulté, de la
fatigue, dans son étude il ne relève qu’une seule association à la guerre du
terme djihad, dans l’idée d’un effort important consenti. Il apparaît clair que
ce terme a été théologisé à des fins stratégiques d’endoctrinement, et de
légitimation.
Genèse et
contexte sociopolitique de Daesh
Daesh n’a pas toujours eu ce nom, la taxinomie
est un enjeu symbolique et important, et s’auto nominer relève de la
revendication d’une certaine vision de soi. Au commencement était l’Irak, mais
le djihadisme de Daesh ne commence pas en Irak. Sa naissance se fait au sein du
groupement crée en 2004 sous le patronage de Zarkaoui, un Jordanien qui a prêté
allégeance à Ben Laden. En 2006 paraît le texte de Naji « l’administration
de l’ensauvagement ». Ainsi on peut constater que l’action est toujours
éclairée et précédée d’une idéologie s’appuyant sur des mobiles religieux qui
permettent de créer et légitimer l’adhésion. En 2006 apparaît l’état de l’Irak
islamique, avec un nouveau chef de file, puis en 2014 on a la création du
califat actuel dirigé par Abu Bakr Al Baghdadi, dénommée le nouveau Ben Laden.
Le leader de Daesh est docteur en éducation islamique de Bagdad, surnommé
« philosophe islamiste » ambitieux et violent, cet activiste
islamique à l’époque de Saddam Hussein a une affiliation supposée aux frères
musulmans irakiens. Il maîtrise la communication, par les symboles notamment,
dans toutes les publications de l’EI ont ne peut que remarquer la motricité des
ressources symboliques des religions. La force du symbole, même dans les
sociétés sécularisées, est importante, le mythe crée de l’adhésion.
Toutes les références déployés par Daesh s’appuient rigoureusement sur
des citations coraniques sortis de leur contexte or « déshistoricisé c’est
absolutisé, essentialisé ». Leurs théologiens sunnites désarment les
musulmans ordinaires, qui ont des difficultés à contre argumenter la rhétorique
de Daesh. Leur analyse sociopolitique et
historique de l’Islam n’est pas assez creusée pour permettre de trouver un
équilibre entre le substantialisme et l’approche fonctionnaliste de la
religion. Comme le rappelle Mr Seniguer plus on politise l’islam, plus on crée
de la violence symbolique, physique. Le Conseil Français du Culte Musulman (créé
par Sarkozy en 2003) a tenté de répondre par le religieux à Daesh. Ce dernier a
balayé d’un revers de la main la rhétorique théologique déployée par le CFCM,
et a répliqué que les hadiths utilisés étaient des hadiths faibles, avec peu de
poids.
L’idéologie n’est pas que matérielle, et ne consiste pas juste à
combattre ceux qui la produisent, ce qui fait que l’idéologie est redoutable,
c’est son immatérialité. Selon Luisard dans le
piège DAESH, comment se fait-il que 30 000 hommes armés tiennent tête aux
plus grandes puissances mondiales, et instaurent cette situation géopolitique complexe à laquelle
personne ne semble avoir de réponse ? Il conclut dans son ouvrage par des
interrogations telles que « pourquoi fait-on la guerre ? Et contre
qui faisons-nous la guerre ? ».
Dans les questions de terrorisme et de violence totale les paradoxes
sont nombreux, par exemple lorsqu’il est demandé aux musulmans de se
désolidariser de Daesh tout en accusant le communautarisme. Mr Séniguer conclut
la conférence en soulignant qu’il y a une réelle nécessité d’ajuster la place
du religieux dans nos sociétés laïques ou pas, tant pour la sécurité intérieure
qu’extérieure, pour la cohabitation de tous dans le respect des droits et
libertés des individus.
Commentaires