L’Arabie Saoudite, le parent inavoué de DAECH ?
Le Premier Ministre
Manuel Valls lors d’une intervention au Petit Journal le 24 Novembre peu de
jours avant sa visite au Qatar déclara : « « L’Arabie saoudite, contrairement à
ce que j’ai lu ici ou là, ne finance pas Daech, au contraire, elle le combat.
». S’il est compliqué de tracer les échanges économiques entre la monarchie
wahhabite et l’auto-proclamé Etat Islamique, il l’est bien moins de voir la
filiation idéologique qui les relie, l’universitaire saoudienne Madawi
al-Rasheed confirme cela « Indéniablement […] il existe entre l’Arabie saoudite
et l’État islamique une histoire partagée et des affinités idéologiques. […]
Les décapitations, les lapidations, la stricte application de la charia, le
traitement des femmes sont autant de pratiques communes à Daech et au
gouvernement saoudien »
Pour rappel, l’Arabie
Saoudite est un régime dichotomique, dont le pouvoir politique revient à la
famille royale et le pouvoir religieux au clergé wahhabite. Le wahhabisme est
une vision puritaine et autoritaire de l’Islam, fondé au XVIIIème siècle par
Mohammed Ibn Abd Al-Wahhab. Il écrit le livre de l’unité fondamentale dans
lequel il fait une lecture littérale du Coran et de la charia, il tient les chiites
pour des apostats, et proscrit la musique, la poésie, les rires. Ce clergé a
une considérable influence sur la société saoudienne puisqu’il gère
l’éducation, la justice, les milliers de mosquées du pays, et ainsi
l’endoctrinement quotidien de la population, ainsi que l’encadrement des mœurs.
Les relations entre
les deux pôles régisseurs de la société saoudienne ne sont pas toujours
paisibles. Ainsi la plupart des crises se concluent par l’argent, par exemple
lorsqu’en Décembre 1979 le clergé prend la grande mosquée Al-Masdjid Al-Hiram à
la Mecque, pour revendiquer une application plus rigoureuse de la charia, les
politiciens calment la situation en puisant dans leur source de pétrodollars.
Le clergé wahhabite est donc autosuffisant, ainsi il s’investit dans la
dissémination du wahhabisme à l’étranger via la construction d’écoles
coraniques, la formation d’imams, la propagande religieuse par la littérature,
mais surtout par le soutien à des partis, groupes islamistes. Ce clergé dirige
les mosquées, les écoles coraniques, il a également la responsabilité d’imposer
la charia et de produire des fatwas. Pour l’écrivain algérien Kamel Daoud,
lauréat du prix Goncourt 2015, la filiation entre la monarchie wahhabite et
l’autoproclamé Etat islamique est claire « Daech a une mère : l’invasion de
l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie
idéologique. Si l’intervention occidentale a donné des raisons aux désespérés
dans le monde arabe, le royaume saoudien leur a donné croyances et convictions
». De surcroît en cherchant à s’imposer comme le « seul vrai » Islam, le
wahhabisme menace le Proche et Moyen-Orient politiquement et religieusement,
pour l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman (qui écrivait en
Septembre dernier) « Rien n’a été plus destructeur pour la stabilité et la
modernisation du monde arabe et, plus largement, du monde musulman que les
milliards et les milliards de dollars que les Saoudiens ont investis depuis les
années 1970 dans la destruction du pluralisme de l’Islam […] pour imposer à
[sa] place cette version puritaine, anti-moderne, anti-féminine,
anti-occidentale, anti-pluraliste de l’islam salafiste wahhabite, promu par
l’establishment religieux saoudien. Ce n’est pas un hasard si plusieurs
milliers de Saoudiens ont rejoint l’État islamique ou si des organisations
charitables du Golfe ont adressé des dons à l’État islamique. C’est parce que
tous ces groupes sunnites djihadistes – E.I., Al-Qaïda, Al-Nosra – sont les
fruits du wahhabisme inoculé par l’Arabie saoudite dans les mosquées et les [écoles
coraniques] du Maroc au Pakistan et en l’Indonésie ».
En outre, l’Arabie
Saoudite est également motivée par une course à la suprématie dans la région
face à son ennemi chiite : l’Iran, qui se relève depuis quelques années et
notamment depuis la levée de l’embargo international. Bien qu’officiellement le
pays fasse partie de la coalition anti Daech, au côté de son allié américain,
dans les faits les forces aériennes saoudiennes sont principalement engagées
depuis Mars contre les rebelles yéménites soulevés contre le pouvoir du
président Abd Rabbo Mansour Hadi. Ces rebelles contrôlent Sanaa et une partie
du pays, ils sont vus par la monarchie comme des chiites alliés aux Iraniens «
des apostats qu’il est licite d’éliminer » (selon l’article de Mediapart). Le
bilan des combats ne plaide pas en faveur de la monarchie wahhabite, dont les
troupes n’ont toujours pas repris le contrôle du pays, ni sécuriser Aden (son
gouverneur et ses 6 gardes du corps ont été tués dans un attentat revendiqué
par l’EI).
De surcroît Riyad a
compensé le repli des E.A.U. en déployant plus de 2000 hommes. Ce redéploiement
met en exergue les intentions de Riyad, bien plus intéressé par la volonté de
contenir l’influence régionale iranienne, que de stabiliser la région en
affaiblissant Daech. Le contentieux religieux et politique historique entre les
2 puissances régionales éclipse aux yeux des monarques la menace de l’EI.
Les experts de la
région, dont Hillary Clinton lorsqu’elle était secrétaire d’Etat, s’accordent
pour reconnaître le double jeu joué par la monarchie saoudienne. En effet elle
a déclaré en Décembre 2009 dans un télégramme diplomatique (dévoilé par
Wikileaks en 2010) que : « Les donateurs en Arabie saoudite constituent la plus
importante source de financement pour les groupes terroristes sunnites à
travers le monde ». Plus tard son successeur, John Kerry se voit confirmé ce
postulat par le prince Saoud al-Fayçal (ministre des affaires étrangères du
royaume saoudien pendant 40 ans). Avant de mourir, en juillet dernier, il
aurait confié à John Kerry, selon des témoins arabes interrogés par le
Financial Times : « Daech a été notre réponse sunnite à votre soutien à Da’wa »
[le parti chiite qui domine la politique irakienne depuis la chute de Saddam
Hussein]. Les motivations qu’elles soient religieuses, politiques, économiques
ou symboliques ne manquent pas pour confirmer le rôle prépondérant qu’a joué,
et joue toujours l’Arabie Saoudite avec les groupes fondamentalistes armés de
la religion.
Par Abid Fatem-Zahra
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