Afghanistan mon amour, par Khaled Hosseini



A propos de l’auteur, Khaled Hosseini est né à Kaboul en 1965, mais a grandi en Iran, à Paris puis aux Etats-Unis où sa famille obtient le droit d’asile en 1980 suite à l’invasion soviétique. En parallèle de ses études de médecine il écrit son 1er livre les cerfs-volants de Kaboul (the Kite runner) publié en 2003. Son roman est traduit en 70 langues, et se vend à plus de 15 millions d’exemplaires dans le monde, particulièrement grâce au bouche à oreille. Il est adapté au cinéma en 2007 (nb, j’ai trouvé l’adaptation très simpliste, et décevante). En 2007 sort mille soleils splendides (a thousand splendid suns) rapidement classé dans les meilleures ventes européennes et américaines. Hosseini est nommé ambassadeur par l’UNHCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) en 2006, ainsi il fonde en 2007 sa fondation éponyme, afin de venir en aide aux Afghans réfugiés, il se veut « l’avocat public des réfugiés du monde entier » selon ses propres termes.
Dans ses deux romans Hosseini dans un registre poétique tel un conteur perse d’antan, nous raconte les aventures rythmées de suspens, des vies bouleversées d’Afghans, avec en trame de fond un pays tout autant secoué par les invasions, que par les guerres. Si dans les cerfs-volants de Kaboul l’auteur s’attache à nous conter la vie ordinaire des Afghans d’avant 1979 en centrant l’action sur les destins entrecroisés d’Amir et de son ami Hassan, dans mille soleils splendides Hosseini focalise son récit sur la condition de la femme en Afghanistan des années 50 au début du XXIème siècle par une myriade d’héroïnes fortes et courageuses, constituant la clé de voute de l’intrigue de son roman. Il a paru son dernier livre Ainsi résonne l’écho infini des montagnes (and the mountains echoed) en 2013.

Hosseini nous dépeint un Kaboul post-invasion soviétique, dynamique, animé, où ses personnages vont au cinéma, participent à des concours de rues de cerfs-volants, font du shopping, organisent des fêtes de voisinage etc. On est bien loin de la vision occidentale largement répandue d’une Afghanistan montagneuse, reculée, et froide. L’auteur s’attache à montrer la vie animant son pays, dont il décrit les habitants comme fiers, chaleureux et profondément épris de leur terre. Dans mille soleils splendides il écrit :
«Voilà Shahr-e-Zohak. La "Ville rouge". C'était une forteresse autrefois. Elle a été construite il y a neuf cent ans environ pour défendre la vallée contre les envahisseurs. Le petit-fils de Gengis Khan l'a attaquée au XIII° siècle, mais il a été tué lors de la bataille. Du coup son grand-père s'est chargé en personne de la détruire. 
- Voilà bien l'histoire de notre pays, les enfants, (...). Une succession d'invasions. Macédonienne. Sassanide. Arabe. Mongole. Et aujourd'hui soviétique. Mais nous, on est comme ces murs là-bas. Abîmés, pas très jolis à voir, mais toujours debout. »

L’auteur est attaché à cette vision optimiste de l’Afghanistan, qu’il connaît forte et dans laquelle il place ses espoirs. Dans un article pour le journal allemand The Spiegel il décrit un de ses passages à Kaboul en 2013 en ces termes : « Les Afghans ont retrouvé le plaisir des fleurs. Ils en ornent les appuis de fenêtres de leurs maisons décrépies, ils les font pousser dans des grenades vides et les appellent des “missiles fleurs“ ».
En outre, dans ses ouvrages l’auteur transmet une certaine rancœur envers les Talibans et les religieux dans leur ensemble, notamment par le personnage principal des Cerfs-volants de Kaboul par lequel il énonce prophétiquement :

« Je me rappelais cette remarque formulée par Baba des années plus tôt : 
Je pisse à la barbe de ces singes imbus de leurs dévotions. Ils ne font qu’égrener leur chapelet et réciter un livre écrit dans une langue qu’ils ne comprennent même pas. Que Dieu nous aide si l’Afghanistan tombe un jour entre leurs mains. »
Les romans d’Hosseini recouvrent notamment la question de la femme en Afghanistan en opposant la pré-invasion et la situation post-invasion. Après l’invasion soviétique se sont installés les Talibans, accueillis en héros libérateurs dans l’immédiat, il décrit comment ils se sont accaparés le pays et ont étouffé le Kaboul joyeux, animé, chéri par l’auteur. La place de la femme est mise en exergue dans mille soleils splendides, comme l’illustrent les citations suivantes :
« Parce qu'une société n'a aucune chance de prospérer si ses femmes ne sont pas instruites, Laila. Aucune chance. »
« De même que l'aiguille d'une boussole indique le nord, un homme qui cherche un coupable montrera toujours une femme du doigt. Toujours. Ne l'oublie jamais, Mariam. »
« Une femme qui, telle une pierre au fond d'une rivière, endurera tout sans se plaindre, et dont la grâce ne sera pas souillée mais façonnée par les remous du courant. »

 Les deux principales héroïnes du roman traversent les temps difficiles que vivent leur pays avec bravoure et surtout, endurance, en gardant foi en leur pays et sa renaissance. Hosseini nous peint des portraits de femmes tout à la fois mère, épouse, fille, enseignante, et/ou élève, en cherchant à nous montrer leur force malgré la répression religieuse, les sévices de la guerre, et les injustices sociales. Elles n’ont pas toutes d’happy ending, mais représentent des modèles par l’attachement à leurs valeurs et leur intégrité.
On retrouve également dans le portrait de l’Afghanistan que nous dresse Hosseini les difficiles rapports de force entre ethnies qui sont toujours d’actualités. En effet, l’Afghanistan, par sa construction historique et géographique, a une population hétéroclite composée en majorité de Pachtounes sunnites (à 42%), et de minorités comme les Hazaras chiites, les Tadjiks, les Ouzbeks, les Baloutches etc. L’auteur dénonce la discrimination faite par les Pachtounes envers les Hazaras en particulier. Dans les cerfs-volants de Kaboul le personnage principal malgré sa grande amitié envers Hassan (un Hazara), arbore une certaine condescendance à son égard :

 « La réponse surgit dans mon esprit avant que j'aie le temps de l'étouffer. Il n'était qu'un Hazara n'est-ce pas? […] Au final, je restais un Pachtoune et lui un Hazara. J'étais sunnite et lui chiite. Personne n'y pouvait rien changer. Personne. »

Leur relation est le reflet de l’attitude générale envers les Hazaras que ce soit dans les années 60 ou actuellement, en effet en Février dernier 31 Hazaras ont été kidnappés, la majorité a été relâchée mais 7 ont été décapités. Des manifestations ont éclaté à Kaboul pour demander réparation auprès du gouvernement, les Hazaras ont dénoncé cette persécution de longue date qui semble continuer. Historiquement, la période de chaos post-soviétique est marquée par les conflits entre Talibans et minorités ethniques selon leurs tribus. Par exemple, les Tadjiks de Massoud, des Ouzbeks, et des Hazaras se sont coalisés contre les Talibans, davantage pour éviter un retour de la domination pachtoune, que pour lutter contre le fondamentalisme religieux.
En outre, tous romans confondus, Hosseini déplore les conséquences de ces guerres sur les enfants, il écrit :


«Si les enfants sont nombreux en Afghanistan, l’enfance, elle, y est quasi inexistante […] Il a baissé les yeux et m'a expliqué qu'[ils][...] avaient été tués par une mine deux ans plus tôt [...]. Une mine. Existe-t-il une mort plus afghane [...] ? » (Les cerfs-volants de Kaboul).


Les guerres et révoltes qui ont secoué l’Afghanistan de 1979 aux années 2000 ont sacrifié la jeunesse afghane, tantôt tuée, rendue orpheline, ou forcée à l’exil, l’auteur raconte la guerre par les yeux d’enfants et d’adolescents, et pousse le lecteur à réaliser les impacts causés sur ces jeunes vies. 

Ainsi Hosseini nous brosse le tableau d’une Afghanistan plurielle ethniquement, socialement, éloignée de la vision monochrome et chaotique diffusée par les médias occidentaux. En croisant les divers destins de ses protagonistes l’auteur nous livre la perspective optimiste d’un pays vivant, tenace, qui se bat pour aller de l’avant, à l’image de ses habitants. Pour finir en poésie (extrait d’un poème de Saib-e Tabrizi, poète perse du XVIIème siècle, repris dans mille soleils splendides) :
« Nul ne pourrait compter les lunes qui luisent sur ses toits,
Ni les milles soleils splendides qui se cachent derrière ses murs. »


Par Abid Fatem-Zahra

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